Virage vert? Développement durable? Politique ESG (environnement, social et gouvernance)? Nouveaux modèles d’affaires? Des termes de plus en plus utilisés, mais que veulent-ils dire concrètement? Ann Delarosbil, directrice régionale du campus de l’École des entrepreneurs du Québec en Outaouais s’est assise avec Benoit Delage, directeur général du Conseil régional et environnement et en développement durable de l’Outaouais, afin de démystifier ces termes et de comprendre les enjeux auxquels font face les entrepreneurs d’aujourd’hui.
Merci d’être avec nous aujourd’hui Benoit. D’abord, quand on parle aux entrepreneurs du Québec de l’importance du développement durable et de commencer à réfléchir à une politique de développement durable à l’interne, de quoi parle-t-on exactement? Pourquoi est-il important pour une entreprise de faire cette réflexion et de passer à l’action maintenant?
À plusieurs niveaux : au niveau de la réputation, au niveau des risques, au niveau de la rétention d’employés, au niveau de nos valeurs en tant que société, mais aussi au niveau économique.
Le premier élément (qui fait beaucoup partie de l’actualité : la question de l’énergie. Pour une entreprise qui a de grands besoins énergétiques, ce sera de plus en plus difficile d’obtenir une puissance énergétique à bon prix. Il y aura aussi une évaluation à faire afin de voir si Hydro-Québec est en mesure de subvenir à ses besoins. L’enjeu est grand ! Aujourd’hui, 50 % de l’énergie que nous consommons au Québec est de provenance fossile : le pétrole et le gaz naturel. On doit s’imaginer quels sont les moyens pour décarboniser notre économie. Très souvent, de ce point de vue, le gain d’argent est assez rapide. Il l’est aujourd’hui, et il le sera encore plus demain.
Au fond, l’optimisation de nos opérations s’inscrit naturellement dans l’optimisation écologique…
L’environnement c’est de l’optimisation. C’est trouver une façon de diminuer les pertes. Que ce soit dans la gestion des matières résiduelles, dans l’énergie utilisée ou dans l’espace physique utilisé. Exemple : pourquoi acheter des terrains pour faire des stationnements qui ne sont utilisés que quelques heures par jour ? Nous avons une optimisation de nos ressources à faire et nous devons repenser la façon dont on habite le territoire.
J’ose croire que l’entrepreneur, c’est une personne qui contribue à la société, qui est imaginative et créative et qui se dépasse tous les jours. Comment le travailleur autonome ou le dirigeant d’entreprise de service peut-il faire le premier pas vers une politique de développement durable ?
D’abord, il faut se tourner vers les spécialistes pour vous guider dans le processus. Ha ha ! Souvent, la porte d’entrée est la gestion des matières résiduelles : avoir une gestion efficace dans le but de diminuer l’enfouissement. Derrière ça, il y a une économie de coûts. Socialement : vos employés font cette gestion à la maison, alors pourquoi ne pas leur donner les outils pour le faire au travail ? Pour plusieurs, la gestion des matières résiduelles devient la porte d’entrée pour le début de leur parcours en développement durable.
Ensuite, l’efficacité énergétique c’est très important. La contribution est significative dans cet aspect. C’est l’élément auquel il faut penser en premier, avant de penser à investir dans d’autres technologies. Par exemple, très souvent, on va penser transiter vers les panneaux solaires, mais ça devrait être au dernier recours. Avant ça, pensez à l’efficacité énergétique de vos bâtiments. Et les financements sont là, les subventions sont aussi au rendez-vous pour vous appuyer dans vos projets d’efficacité.
Finalement, comment passe-t-on le message des actions que l’on fait ? On se rend compte en accompagnant des entreprises, des leaders dans notre région de l’Outaouais, qu’ils ont de la difficulté à communiquer leurs bons coups environnementaux. Si c’est fait avec un bon fond et que c’est cohérent avec les valeurs de l’entreprise, ça paraît bien et on peut difficilement t’accuser de greenwashing. Mais l’action doit être significative et elle doit être collée aux valeurs de l’entreprise.
J’aurais envie de parler de quelques beaux exemples dans la région. Notamment, je pense à Robert Taillefer chez Croisières Outaouais qui est passé à une flotte complètement électrique et qui a vu une grande augmentation de la satisfaction de sa clientèle. En restauration on voit le Bistro Olivia qui offre maintenant des emballages faits de matières compostables et recyclables. Il y a aussi Flirt Drinks qui s’est tourné vers un modèle d’économie circulaire. Je crois que la clientèle est au rendez-vous, autant les clients qui achètent les produits que les employés. À ce sujet, peux-tu nous parler comment les valeurs d’en employeur sont importantes pour la main-d’œuvre d’aujourd’hui?
Les jeunes d’aujourd’hui ont besoin, au-delà des conditions salariales, de mettre du sens sur ce qu’ils font et c’est tant mieux! C’est important de démontrer que leur bonheur est préoccupant pour l’employeur. Chez nous au CREDDO, depuis 6 ans, nous évaluons l’indice du bonheur au travail, un questionnaire simple à partager avec les employés. Ça me donne des indicateurs assez précis sur les failles dans le climat au travail et dans les conditions que j’offre aux employés. Cet indicateur est inclus dans notre rapport annuel, j’en parle ouvertement au sein de l’organisme, et j’ai même demandé à mon CA que mon augmentation salariale soit associée à l’indice de bonheur de l’équipe. Donc, mon engagement face à cette dimension humaine est assez grand. Heureusement, notre climat de travail nous le permet.
Mais je crois qu’il faut commencer à avoir des considérations profondes pour l’humain. On parle notamment de la conciliation travail-famille et le sens des tâches que nous donnons aux employés. Voilà quelques exemples qui méritent d’être étudiés et repensés. La question financière n’est pas la seule pour assurer une rétention des employés. Offrir un emploi qui donne du sens au travail est une préoccupation très forte chez les nouvelles générations. La question du message, ce qu’on envoie aux employés et aux clients, est très importante.
Ce que je vois beaucoup dans notre veille, c’est que les grandes banques ont de plus en plus de préoccupations entourant l’inclusion d’une politique ESG (Environnement, Social, Gouvernance) dans leurs octrois de financement. C’est quoi l’impact sur les entreprises?
En effet, ça va être de plus en plus demandé. On a des exportateurs qui se sont tournés vers nous dans les derniers mois afin d’avoir une certification ESG, car ils s’aperçoivent que certains de leurs clients à l’international et même les PME d’ici leur posent des questions à ce niveau. Ils sont conscients de l’impact de leur entreprise et ils veulent s’assurer que cet impact soit positif.
La question ESG est de plus en plus étudiée et posée de la part des bailleurs de fonds et de nos partenaires. Au niveau social, il faut s’interroger sur le legs communautaire en tant qu’entreprise. Beaucoup d’entrepreneurs réfléchissent à la question de la contribution à la société. C’est important et ça nous revient toujours.
Le client nous le redonne bien, si le client fait le choix de ne pas acheter sur Amazon et d’acheter chez vous, c’est donnant-donnant.
Exact. Les gens sont en quête de sens. Comme l’exemple du bateau électrique versus le bateau au pétrole. Même si le billet de l’option électrique est plus coûteux, les clients priorisent le choix environnemental. On le voit dans les aliments biologiques aussi, les gens sont prêts à payer une prime pour ça. Oui pour leur santé, mais aussi pour la société.
Finalement Benoit, crois-tu qu’il y a un prix à l’inaction écologique pour les entreprises?
Oui, c’est certain. Une entreprise qui n’optimise pas ses processus, que ce soit au niveau des matières premières qu’ils utilisent ou l’énergie demandée, il va avoir une augmentation des coûts. L’énergie fossile, il n’y en aura plus. Il a déjà une tarification du carbone aujourd’hui et ça va coûter de plus en plus cher, car on se doit de diminuer notre consommation de carburants fossiles. On a plus le choix. Les gens le reconnaissent. On n’a pas le choix, car les gens ont besoin de s’attacher à des choses qui ont du sens. La consommation infinie, même s’il y aura toujours un marché pour ça et qu’une partie de la population n’est pas rendue-là, on y croit de moins en moins. J’aime croire qu’une grande partie de la population est de plus en plus consciente des enjeux, puisqu’on en entend parler de plus en plus dans la sphère publique.
Merci Benoit!
Merci à toi, Ann!
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Crédit photo : Richard Perron
À propos de Benoit Delage du CREDDO
Benoit Delage est le directeur général du Conseil régional de l’environnement et du développement durable de l’Outaouais (CREDDO), l’un des 16 conseils régionaux de l’environnement répartis dans les régions du Québec. Il est grandement impliqué dans sa communauté et convaincu du pouvoir collectif, il développe avec les partenaires du milieu des projets structurants pour l’Outaouais dans une perspective de développement durable. Le CREDDO est l’interlocuteur privilégié du Ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs. Son mandat principal est d’assurer la concertation des acteurs de l’Outaouais autour des enjeux environnementaux de la région.