
Enchantée Sandra! Faisons connaissance, qui es-tu?
Enchantée et merci pour l’invitation! Je suis anthropologue de formation. Je suis interpellée par la diversité culturelle et la cohabitation interculturelle depuis ma naissance. J’ai grandi dans un immeuble où on était la seule famille blanche, et c’est à l’école que j’ai appris que mes voisins étaient issus de la diversité ou de l’immigration.
C’est quelque chose qui, pour moi, était tellement naturel que ça m’a surpris d’apprendre qu’il y avait socialement une différence ; cette réflexion-là a toujours fait partie de moi.
Mes questionnements sur l’unité, sur le racisme, ont gouverné toute ma vie. Puis, très jeune, je me suis intéressée aux lectures qui s’y référaient. Je me suis intéressée aux grands auteurs noirs francophones, notamment Aimé Césaire, qui a été l’instigateur des nationalisations, des autonomisations des États africains dans les années 60. Je suis également tombée en amour avec la Martinique, où j’essaie d’aller plusieurs fois par année, et où j’y ai fait une partie de mes études. De toutes ces expériences est également née une passion pour l’art, parce que je trouve que c’est le point de rencontre entre les humains.
D’autre part, je suis une fonctionnaire de carrière ; ça va faire 20 ans l’année prochaine que je suis fonctionnaire. Je le suis à temps partiel pour pouvoir m’occuper de mon entreprise. C’est difficile de se définir de manière aussi courte, mais je dirais amoureuse de l’art, très interpellée par le vivre ensemble, et chercheuse.
Comment est né Voix de Pasaj, peux-tu nous parler de son histoire et sa mission?
En fait, Voix de Pasaj est né d’une conversation qui a eu lieu pendant 25 ans entre moi et un ami atikamekw que j’ai connu à l’Université, et qui est aujourd’hui coordonnateur art, histoire et culture de sa nation. Puis, un ami martiniquais que j’ai connu il y a 25 ans aussi, qui est artiste pluridisciplinaire.
On a exploré ensemble comment les artistes vivaient, comment on pouvait se comprendre en culture. Puis, on en est venu à un développement concept qui s’appelle l’insularité culturelle, c’est-à-dire, l’isolement de certains artistes au sein de leur culture, où les artistes sont très performants, sont très innovateurs, mais ils ne restent connus que dans leur milieu culturel.
On a étendu cette idée d’insularité culturelle aux Antilles, mais également aux communautés autochtones, et aux communautés culturelles urbaines. Donc, l’idée de Voix de Pasaj, c’est vraiment de créer un passage entre ces insularités pour donner la voix à ces artistes. C’est de là que vient le « Voix », dans Voix de Pasaj, et le « Pasaj » écrit en créole avec la plume pour faire le lien à la créativité et aux Premières Nations.
Voix de Pasaj est donc un service de développement artistique interculturel né de l’idée de créer des liens, mais pour de vrai.

Pourquoi l’entrepreneuriat?
Au départ, lorsqu’on était assis à la cuisine à réfléchir à comment on va faire tout ça, on s’est dit, on va devenir un organisme qui va associer les artistes de différentes cultures. Puis, on pensait qu’on allait avoir une dizaine de membres, et pouvoir organiser cinq, six activités par année. Mais l’entrepreneuriat nous est tombé dessus! (Rires). Car présentement, on est presque soixante membres après deux ans d’existence, et on a fait 87 000$ de chiffres d’affaires la première année, sans subvention.
Je n’aime pas ça parler en termes d’argent parce qu’on est un OBNL, mais on est vraiment en demande. On ne s’attendait jamais à ce désir-là. Sincèrement, je suis émue de voir qu’il y a un tel désir de compréhension interculturelle et d’action. J’en viens parfois presque aux larmes parce que c’est magnifique.
Nous avons quatre grands angles d’intervention : les prestations, les expositions, les ateliers, les conférences, et les services-conseils. Notre modèle entrepreneurial c’est de vendre ces services-là, mais sur mesure à nos clients. Nos clients, ce sont des écoles, des bibliothèques, des maisons d’aînés, des jeunes, des familles, des MRC, des centres de femmes… Ça s’est tellement diversifié. L’idée c’est d’offrir, sous ces différents angles-là, un service sur-mesure qui peut être des ateliers de connaissance de soi par l’art, des ateliers de compréhension des parcours des femmes immigrantes, ou des prestations.
Notre modèle d’affaires se base sur ça, sur la qualité et la diversité des artistes intervenant.e.s qui travaillent avec nous. On a des artistes de vraiment partout dans le monde. Notre modèle se base aussi sur notre capacité administrative à modeler sur-mesure le besoin de notre client.e. C’est sûr qu’on a un catalogue d’événements, des ateliers qu’on a déjà mis sur place, qu’on peut offrir en répétition, ou adapter.
De par mon parcours, j’ai découvert l’économie sociale, qui a façonné ma lecture de ce que pourrait être l’économie en fait. Donc, on est parti d’un OBNL de regroupement, à vraiment instaurer un organisme d’économie sociale. Je suis la seule travailleuse employée salariée comme directrice générale, mais on s’est rendu compte dans nos partenariats qu’il y a beaucoup d’organismes qui veulent mettre des choses en place, qui ont du financement, mais qui manquent de main-d’œuvre. Donc nous, c’est comme si on offrait soixante personnes intervenantes comme main-d’œuvre pour mener à bien des ateliers. Comme on saisit bien les enjeux du milieu, on répond mieux encore.
As-tu fait face à des enjeux et/ou difficultés durant ton parcours entrepreneurial, et si oui, lesquel(le)s?
Au départ, il y avait vraiment un manque de connaissances du microfonctionnement entrepreneurial. C’est sûr qu’en ce qui me concerne, je suis quelqu’un qui étudie beaucoup, qui acquiert facilement des connaissances ; donc pour cet aspect-là, ça a été très facile de trouver l’accès. Je n’en suis pas revenue à quel point il y a des intervenant.e.s : Evol, le Pôle d’économie sociale, l’École des entrepreneurs du Québec ; il y a d’ailleurs plein de gens qui nous ont dirigés vers l’École.
Pour la partie conseil : formez-vous. Il y a plein de choses gratuites. Il y a plein de parcours super intéressants. C’est sûr que c’est difficile, quand on commence, d’arriver à comprendre ce qu’est un plan d’affaires, à élaborer son plan stratégique, etc. Ce n’est pas inné, ce sont des choses à apprendre. Sincèrement, il y a tellement de formations accessibles. Pour nous, ça a été super bénéfique.
Comme entrepreneur.e, il faut quand même avoir une base de compréhension : être capable de lire ses états financiers, être capable de lire ses états prévisionnels, puis d’utiliser toutes ces informations pour faire ta planification.
Ainsi, au début, tu as l’impression que tu n’arriveras jamais à tout assimiler, car ça en fait des choses à comprendre. Mais on a été chouchouté.e.s en accompagnement. C’est incroyable.

Quelles sont tes forces comme entrepreneure – puis qu’est-ce que tu veux travailler?
Ma principale force, c’est ma passion. C’est évident. Je ne pense pas qu’un.e entrepreneur.e puisse survivre si il ou elle n’est pas passionné.e par ce qu’il fait. Cela est surtout valable présentement où l’offre est hyper diversifiée, où il y a toujours quelqu’un qui fait presque comme toi. Mais il faut être profondément passionné.e. Quand je vais à mes propres activités, pour moi, c’est ma pause. Même si c’est du travail.
L’autre force que j’ai, c’est que je suis quelqu’un qui travaille fort. Je suis vraiment investie. Je suis capable d’accumuler les heures. Quand je vois une grande pile de dossiers, je sais ce qu’il faut faire. Je suis très à l’aise avec le multitâche et suis très calme dans ma gestion de priorités.
À 30 ans, je serais devenue folle, tandis qu’à presque 50 ans, je suis capable de dire « oui, c’est un super beau projet. 2026 ! ». Je suis capable de reconnaître une opportunité, de dire « on ne peut pas manquer ça, on met en pause et on s’en va là ». Mais je suis capable aussi de voir que c’est une belle chose à faire, mais pas en temps immédiat.
Parfois, on veut trop quelque chose et il y a plein d’obstacles. On met ça de côté et on va avec ce qui fonctionne bien. Ce discernement-là, je l’ai. Je n’étais pas au courant de cela, mais je me suis découvert une bonne entrepreneure. La passion et le travail, ce sont les deux clés, je crois.
Les éléments à développer ce serait justement à savoir prendre une pause. C’est comme une drogue. On est sur l’adrénaline tout le temps. On est dans un domaine où il n’y a aucun moment où je peux dire que j’ai fini. Je n’ai jamais fini, il y a toujours des demandes, il y a toujours des appels de projets, il y a toujours des projets à développer. Je ne peux jamais dire que c’est terminé. C’est un défi parce qu’à long terme, ça a un impact.
J’ai la chance d’avoir une bonne santé et je suis quelqu’un d’actif. Ça aide, c’est sûr. Mais réussir à me déconnecter, c’est vraiment quelque chose que je dois développer. J’essaie de prendre conscience de mes moments de pause.
C’est sûr que le merveilleux monde financier, toute la partie gestion des états financiers, des états prévisionnels… J’ai quand même une bonne compréhension, mais je sais que je dois acquérir d’autres compétences à ce niveau-là. J’aimerais ça arriver à bien lire mes propres états financiers.
As-tu un conseil pour les entrepreneures en devenir, un petit mot de fin?
J’en ai dit un peu partout dans l’entrevue! (Rires). Ne pas se lancer en affaires si on n’est pas passionné.e. C’est impossible de démarrer une entreprise sans donner tout ton temps pendant la première et deuxième année. Puis, ne pas hésiter à se former, à aller chercher les ressources disponibles, ne pas jouer à je-sais-tout donc être conscient.e des connaissances non acquises. Réussir aussi à bien s’autodiagnostiquer.
Enfin, avoir de la ténacité. Il y a des projets que j’ai déposés six fois avant d’avoir un oui ; il faut croire en ce que l’on fait. Ce n’est pas de l’entêtement c’est de la ténacité.
Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter à toi pour cette année?
D’arriver à concrétiser cette croissance-là, à surfer sur cette vague-là, sans dénaturer ce qu’est Voix de Pasaj.
Date de publication :
Auteur :
École des entrepreneurs du Québec
Temps de lecture :
5 min
Catégorie :
Nouvelle