
Enchantée Lynn ! Faisons connaissance, qui es-tu?
Bonjour! Je suis Lynn Doughane, la cofondatrice et COO de Juno Technologies. Je suis arrivée au Québec il y a 4 ans et demi et je suis d’origine libanaise.
Je suis ingénieure électrique de formation. J’avais également un parcours en tant qu’athlète de haut niveau, donc athlète professionnelle, dans mon pays natal. Je suis arrivée ici pour poursuivre mes études et j’ai fait une maîtrise en génie industriel à Polytechnique, où je me suis attardée un peu plus sur tout ce qui est innovation et technologie.
Et c’est à ce moment-là que j’ai rencontré ma cofondatrice et que Juno est née.
En dehors du travail, je fais du mentorat – je suis mentore sur Academo depuis plus de 2 ans – et je suis également volontaire pour plusieurs initiatives. Par exemple, j’ai participé à Technovation les derniers mois pour l’édition 2025 ; j’ai également rejoint un réseau pour le regroupement des Libanais en Amérique du Nord qui s’appelle Lebnet, pour aider les Libanais, aider les jeunes professionnel.le.s. Donc, ça, c’est mon côté un peu volontariat.
Sinon, j’ai participé plusieurs initiatives et évènements durant lesquels des universités comme Polytechnique, HEC, ou l’ÉTS, invitent des intervenant.e.s pour promouvoir l’entrepreneuriat, venir témoigner de parcours, répondre aux questions des jeunes, puis surtout valoriser, encourager la prochaine génération à entreprendre, surtout les femmes qui sont dans la science. Je trouve que c’est un domaine dans lequel il y a un vrai besoin.
Comment est née Juno technologies, peux-tu nous parler de son histoire et sa mission?
C’est une histoire quand même drôle, ça montre que le hasard fait vraiment bien les choses. Alors que je faisais mon bac au Liban en génie électrique, durant la cinquième année, j’étais juste tannée de mon environnement parce que c’était une petite classe de 20 personnes, et je voulais sortir de ma zone de confort, ce qui est contre ma personnalité. Mais j’ai forcé sur cet aspect.
J’ai donc décidé de venir au Canada. Le fait que j’avais de la famille ici, une tante, a beaucoup aidé. Je m’étais fixée comme objectif de faire un échange de 4 mois dans un premier temps. Durant mon échange à Polytechnique, un beau jour, j’ai décidé de participer à un événement de réseautage chez L’Oréal, et c’est là où je rencontre ma cofondatrice pour la première fois. À ce moment-là, c’était en 2019, on avait juste connecté, on s’est juste échangé nos réseaux sociaux et ça s’est arrêté là. Puis, quelques années plus tard en 2021, nous étions toutes les deux même maîtrise, et nous nous sommes retrouvées dans un même cours. Elle s’est alors rappelée de mon nom vu qu’on avait connecté et elle m’a contactée.
C’était un cours sur le développement de produits parce qu’on faisait une maîtrise qui mettait l’accent sur tout ce qui est technologie et innovation. Elle m’a expliqué son idée, celle d’avoir un dispositif médical que l’on peut porter et qui n’utilise pas de médicaments pour les femmes qui veulent soit arrêter, soit diminuer la prise de médicaments. Et puis, sa question, c’était « Je ne me souviens pas, c’était quoi déjà ta formation ? Parce que moi je cherche quelqu’un en ingénierie électrique. » Je lui ai répondu que j’étais justement ingénieure électrique de formation. Et je lui ai dit « J’ai vécu cette frustration moi-même, je la vis toujours et je viens d’une famille de gynécologues et de sages-femmes. » Elle a dit « OK, le hasard fait tellement bien les choses. Tu es la seule personne que je connais dans cette classe. Il faut qu’on fasse un projet. Moi, je veux travailler sur ça parce que je veux vraiment apporter ce projet à un cas concret. » C’est ainsi qu’est née Juno.
L’idée est vraiment venue de ma cofondatrice, je lui donne tout le crédit pour ça. Elle a commencé ses études en physiothérapie. C’est ce qui lui a mis un peu la puce à l’oreille sur les traitements médicaux pour soulager les douleurs menstruelles. Elle a poursuivi sa formation en ingénierie mécanique à Polytechnique, durant laquelle elle a eu un cours en entrepreneuriat ; elle est tombée en amour avec ce cours-là. Dans ce même cours, il fallait trouver un produit ou une solution ou un service sur lequel travailler. Elle s’est dit « tant qu’à faire, je vais le faire sur quelque chose qui me parle. » Dans la mesure où elle souffre de douleurs menstruelles, elle s’est dit « je vais travailler sur ça. » Elle avait besoin de quelqu’un tout au long de ce projet avec d’autres compétences. C’est là où j’ai embarqué quelques mois plus tard et on a commencé à vraiment travailler là-dessus. C’est comme ça que l’entreprise est née, par les événements, les connexions. En y repensant, on se dit « nous nous sommes juste parlé sur Messenger et on a accepté de travailler ensemble. J’aurais pu être une personne désagréable qui ne travaille pas bien (Rires). » Mais l’avantage c’est qu’on travaillait ensemble à l’école, ça nous a permis de mieux connaître l’autre et voir si on avait une synergie ou non avant de s’incorporer officiellement et de se lancer à 100%.
Je crois qu’il y a beaucoup de traits qui en disent sur une personne. Le fait qu’elle sache par exemple que j’ai pratiqué du sport, c’est quand même une preuve de discipline. Je crois qu’au départ, c’était un peu « je te fais confiance, on va voir ce que ça donne ». Ce n’est pas une confiance absolue. Puis au fil des mois, six mois, un an avant l’incorporation officielle ou avant que le projet grossisse, on a réalisé qu’on pouvait travailler, fonctionner ensemble.

Pourquoi l’entrepreneuriat?
Cette question pour moi est un peu difficile. Honnêtement, je ne m’étais jamais imaginé lancer une entreprise ou être à la tête d’une entreprise. En tant qu’immigrante, on ne s’attend pas à ce que nos parents nous envoient à l’autre bout de la planète pour travailler à son propre compte.
Ironiquement, la maîtrise que j’ai choisie à Polytechnique, qui souvent est choisie par des gens qui veulent entreprendre, je l’ai prise juste parce que je voulais changer un peu de ma formation très technique et avoir quelque chose de plus complémentaire. Ça avait l’air sympa, donc ça m’a tenté.
Je trouve que c’était quand même une belle opportunité qui m’a été présentée. J’étais très curieuse de voir ce que ça allait donner. J’avais cette pensée dans ma tête qui me disait « il faut que tu essaies, c’est juste que c’est super bien tombé, car tu vis toi-même le problème. Tu peux mettre à profit tes connaissances et celles de ta cofondatrice pour régler un problème que tu vis toi-même et que des millions d’autres femmes vivent. » Je trouve que c’est d’une part l’alignement des événements qui m’ont fait en sorte qu’il faut que je profite de cette opportunité, je ne vais pas laisser juste s’envoler.
Je suis curieuse de voir ce que ça peut donner et d’une part l’impact, juste l’idée d’avoir un impact sur la vie des femmes, ça me parlait énormément. Je n’ai jamais envisagé d’être entrepreneure ; ça a pris du temps pour accepter ma nouvelle vie.
As-tu fait face à des enjeux et/ou difficultés durant ton parcours entrepreneurial, et si oui, lesquel(le)s?
Oui, c’est sûr que ce n’est pas un parcours qui est facile, on fait face à beaucoup de défis ma cofondatrice et moi. J’ai des défis plus personnels côté immigration notamment, et également pour trouver le premier financement.
Autre défi : bâtir la crédibilité, bâtir une équipe qui croit en toi, choisir les bons partenaires, surtout quand on commence. Ce n’est pas facile pour deux jeunes femmes qui sont ingénieures de formation, qui viennent tout juste de graduer, de paraître crédibles pour un dispositif médical. Ça a pris quand même du temps pour bâtir cette crédibilité, avoir des partenaires qui sont crédibles, qui nous appuient.
Les choses s’améliorent, mais je trouve qu’il y a quand même un biais, surtout pour les femmes entrepreneures. C’est donc un autre défi qu’on a rencontré, particulièrement avec les investisseurs. Quand on cherche des investisseurs, on trouve majoritairement des hommes. Beaucoup négligent, minimisent ou ne comprennent tout simplement pas le problème. D’autre part, il y a le fait que nous sommes deux jeunes femmes issues d’une minorité visible, puis qu’on s’attaque aux douleurs menstruelles qui sont un sujet tabou, dont on ne parle pas assez. Cette combinaison-là a fait en sorte que ça n’a pas été facile les premiers temps.
En plus, moi, de mon côté, je suis une immigrante. Je suis résidente permanente depuis 7-8 mois. Même si j’ai étudié ici, j’ai dû passer par le processus d’immigration, je crois, le plus compliqué qu’il y ait en tant que business. C’est un processus qui est long et coûteux, qui demande plus de rigueur dans l’application. C’est bien que j’aie pu trouver une voie, ou plutôt un chemin pour pouvoir rester ici tout en travaillant sur mon entreprise. Mais c’était quand même une pression supplémentaire.
Aujourd’hui je trouve qu’on a quand même bâti une belle équipe. Ce sont des jeunes professionnels, mais quand même qui ont de l’expérience. On s’est entourés de partenaires qui ont cette crédibilité-là, que ce soit des partenaires réglementaires qui s’assurent qu’on suit tout pour rester en ordre pour FDA, Santé Canada. On a aussi bâti un réseau de mentors, de conseillers, de partenaires cliniques et d’organismes pour les femmes qui sont établis. Il y a encore du travail à faire, ça ne finit jamais, mais on a quand même une base assez solide, je dirais, après ces trois ans-là.
Quelles sont tes forces comme entrepreneure – puis qu’est-ce que tu veux travailler?
Je trouve que c’est tout.e entrepreneur.e se doit de posséder ces qualités-là : la résilience et l’adaptabilité. On a beau faire beaucoup de plans planifiés, anticipés, essayer de mettre des marges, mais il va toujours y avoir quelque chose qui va venir changer ton plan à 360 degrés. Donc c’est vraiment s’adapter, se recentrer, trouver un moyen, être toujours en mode « résolution de problèmes ». Je trouve que ça, ce sont des qualités essentielles.
Pour un point d’amélioration, c’est sûr qu’on apprend au fur et à mesure toutes les deux, ma cofondatrice et moi. J’ai encore beaucoup à apprendre. Mais je trouve qu’un point sur lequel je devrais travailler prochainement, c’est vraiment plus le côté ventes. Je suis ingénieure de formation, la R&D c’est ma zone de confort. Mais là on transitionne vers une phase de commercialisation, ce qui est tout nouveau pour moi. De ce fait, la commercialisation, le marketing, le développement des affaires, c’est un nouveau monde à découvrir et qu’on va devoir apprivoiser durant les prochains mois parce qu’on n’a pas le choix.
Je suis vraiment gênée pour la vente, moins à l’aise que ma cofondatrice, mais je vais travailler là-dessus. Notre stratégie c’est de faire du B2B au départ, c’est là que l’on voit le potentiel du produit. C’est sûr qu’on n’a pas encore la capacité d’embaucher quelqu’un pour faire les ventes et nous présenter. Et surtout les premières ventes, ça va commencer doucement. Ça va être nous deux.

As-tu un conseil pour les entrepreneures en devenir, un petit mot de fin?
L’entrepreneuriat, c’est un parcours d’apprentissage, d’essais-erreurs. Ce n’est pas réservé à un certain profil ou réservé à une élite de toutes sortes. Mon conseil : il faut oser rêver grand, mais d’oser commencer petit et de bâtir brique par brique leur parcours ou leur projet, de prendre le temps.
Je dirais deux conseils en un : premièrement, ne pas croire que l’entrepreneuriat n’est pas accessible. C’est accessible, il faut apprendre, accepter l’erreur. Ce n’est pas réservé juste aux hommes qui ont 50 ans, qui ont 30 ans d’expérience, qui ont x montants d’argent. Non. Ça peut être n’importe qui ces temps-ci. Tant qu’on est bien accompagné.e, on peut apprendre et on va faire des erreurs. On ne peut pas empêcher les erreurs et c’est bien d’en faire. Deuxièmement, il faut commencer étape par étape. Il ne faut pas attendre de faire toutes les formations de tous les incubateurs avant de se lancer. La bonne stratégie c’est de commencer étape par étape et apprendre au fur et à mesure. C’est ça que je dirais.
Tu as participé au défi OSEntreprendre. Est-ce que tu aurais quelques mots à en dire, notamment sur ce que t’a apporté le défi ? Comment s’est passée ton expérience pour cette année?
Mon expérience au Défi OSEntreprendre s’est très bien passée. C’était très organisé, je dirais, comme défi. Il y a beaucoup d’étapes à passer, plusieurs échelons (local, régional, national). Je trouve que ça souligne l’envergure de ce défi.
Cette structure te permet quand même d’être distinguée à différentes échelles et de valoriser les entreprises plus locales. Ça s’est bien passé. On a eu l’occasion d’avoir 3-4 entrevues dans le cadre du Défi, on a côtoyé différents jurys à chaque fois.
Ce qui m’a marquée, je dirais, ce sont les questions des jurys. Souvent, c’était pour mieux comprendre le projet, mais c’était aussi un mode un peu conseil. Je leur ai dit qu’ils/elles ont vraiment de bonnes questions pour non seulement en savoir plus et savoir si on gère ou maîtrise notre projet, mais aussi pour anticiper. Ce que j’ai aimé également, c’est qu’il y a des membres du jury lors du gala, de la cérémonie, qui sont venus nous reparler, qui nous ont dit « on vous a posé cette question-là parce qu’on voulait juste s’assurer que vous êtes sur la bonne direction, que vous avez les bonnes réflexions » et ils ont offert leur aide. Ce que je n’ai jamais vu auparavant, honnêtement.
Sinon, qu’est-ce que ça nous a apporté ? Je trouve qu’on a eu beaucoup de bons contacts, que ce soit le jury, que ce soit d’autres entrepreneur.e.s. Je trouve qu’il y a quand même des connexions avec des entrepreneur.e.s, avec des secteurs soit parallèles, soit différents, mais même si c’est différent on peut s’entraider d’une manière ou d’une autre. Les membres du jury ou d’autres personnes qui ont de l’expérience, qui peuvent nous diriger dans la bonne direction ou nous apporter des contacts. Je trouve aussi que c’est un défi de grande envergure, qui nous a apporté une visibilité nationale. Surtout que nous sommes une start-up qui s’attaque aux douleurs menstruelles, ce n’est pas un sujet très abordable et abordé. Ça nous a permis de soutenir une de nos valeurs principales qui est d’ouvrir le dialogue sur ce sujet-là qui a été beaucoup ignoré, qui l’est encore même si ça s’améliore un peu.
Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter à toi pour cette année?
Ça fait 3 ans maintenant que nous sommes en R&D ; on a quand même sorti le prototype, mais là on est vraiment dans la dernière ligne droite pour finaliser le produit et le soumettre aux autorités règlementaires. Ce qu’on souhaite, c’est atteindre nos objectifs et avoir une transition assez « smooth » vers la commercialisation. C’est quand même une transition qui a ses propres défis en termes de production, chaîne d’approvisionnement, livraison, etc.
Tout ce qu’on souhaite, c’est de voir le produit dans les pharmacies, les cliniques, hôpitaux.