Rencontre avec Christelle Fournier, fondatrice de Fertiles

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Enchantée Christelle ! Faisons connaissance, qui es-tu?

Bonjour, mon nom est Christelle Fournier, je suis franco-québécoise. Aujourd’hui, cela fait 15 ans que je suis au Québec. Je suis tombée suffisamment en amour avec le Québec pour y rester et y monter mon entreprise. À l’origine je suis une professionnelle de l’audiovisuel et au travers de mon parcours, j’ai découvert l’environnement, l’écologie, la permaculture, dans différents endroits dans le monde.

 

C’est entre autres au Costa Rica que cela m’a beaucoup impacté et de là j’ai décidé de me former, donc d’avoir une vraie formation en permaculture dans le sud de l’Espagne et puis d’avoir ma ferme maraîchère en parallèle de mon métier en audiovisuel.

 

J’ai beaucoup travaillé en agriculture urbaine à Montréal pendant une période. Et puis, petit à petit, en co-créant des projets, je me suis rendu compte que je suis très proche des projets citoyens, et depuis je m’intéresse énormément à la gouvernance citoyenne, comment on fait du « par » et « pour ». J’ai pris conscience que la transition socioécologique, ça touche tout le monde et donc petit à petit, Fertiles est née. En fait Fertiles est née après un mandat que j’ai eu avec le Collectif 21 de Boucherville, qui avait un hectare sur lequel faire la permaculture, mais ils avaient besoin de quelqu’un pour les accompagner. Au fur et à mesure, cette activité a pris plus de place et aujourd’hui avec Fertiles, nous avons des projets bien plus ambitieux ; nous accompagnons de grosses innovations sociales en lien avec les systèmes alimentaires et nous faisons de la recherche pour faire avancer les connaissances en permaculture.

 

Comment est née Fertiles, peux-tu nous parler de son histoire et sa mission?

Quand j’ai quitté l’audiovisuel, j’ai eu la chance de travailler avec des gens du monde entier, de voyager et de voir des réalités à travers le monde et j’ai été très touchée par ce qui se passe. J’ai pris conscience que la transition socioécologique est un enjeu global qui touche toute la planète et qui impactera les générations futures.

 

Fertiles est née de cette prise de conscience, tout en me disant que cette transition socioécologique doit être inscrite dans une économie moins subventionnée et je voulais faire le pari d’avoir une entreprise classique (incorporée) – et non un OBNL ou une coop – , pour tenter de vivre cette aventure.

 

C’est un pari très risqué, car c’est moins évident de trouver des client(e)s du fait que l’on ne soit pas sur les leviers traditionnels. Mais en échange, la permaculture se veut être, entre autres, une façon de revisiter le monde et donc nos relations aux autres et Fertiles a mis en place des accords de réciprocité, qui ne sont pas des contrats classiques et aussi des tarifications équitables. Nous essayons toujours d’embrasser l’objectif du client et d’y aller ensemble pas à pas. Et souvent, ces client(e)s-là deviennent des partenaires.

 

Pourquoi l’entrepreneuriat?

J’ai mis du temps avant d’accepter que je fusse une entrepreneure. Je pense avoir longtemps été victime du syndrome de l’imposteur. Puis ce sont d’autres entrepreneures qui m’ont fait comprendre que j’étais entrepreneure dans l’âme, même si je n’avais pas encore Fertiles.

 

Je trouve que c’est là où on a notre pleine puissance créatrice, l’entrepreneuriat. Ça a ses difficultés, mais c’est aussi le moment où l’on peut mettre notre énergie, notre élan de vie le plus fort, au service de ses idées, de sa vision et de ce qu’on souhaite pour le monde. C’est quelque chose qui est plus compliquée, quand on est employé(e).

 

As-tu fait face à des enjeux et/ou difficultés durant ton parcours entrepreneurial, et si oui, lesquel(le)s?

Oui, j’ai fait face à beaucoup d’enjeux. Justement cette idée d’être entrepreneure, je dirais que ça a été ma première barrière. On ne nous apprend pas à être entrepreneurs. Je pense également qu’être femme, ça joue un jeu. D’ailleurs je suis écoféministe, je le prône, c’est une des valeurs de Fertiles. L’écoféminisme pour moi, c’est à la fois la question de genre et à la fois la question de l’ensemble des personnes qui manquent de privilèges à la fois sociaux et écologiques, les personnes à mobilité réduite, les classes sociales basses.

Nous avons écrit plusieurs livres, à chaque fois des collectifs de permacultrices, et je réalise aussi un balado, qui s’appelle Les permaculturelles et qui met en valeur des femmes. Je travaille avec des hommes aussi, il y a de la mixité, mais j’essaie souvent de mettre en lumière les femmes.

 

Parmi les enjeux, il y a des montagnes russes émotionnelles quand on est entrepreneures ; il y a des jours où ça va super bien puis deux jours après on apprend que l’on n’a pas le contrat qui a été discuté quelques jours auparavant, puis d’un coup on se pose des questions sur la viabilité et la pérennité financière de l’entreprise. Quand on a une petite entreprise, l’entrepreneure se paie en dernier. Cette précarité financière là elle n’est pas forcément tout le temps évidente.

 

Enfin, qu’on le veuille ou non, je remarque qu’il y a présentement beaucoup de compétition et d’écoblanchiment, et quelquefois, quand je constate ce genre de pratique, c’est un peu décourageant.

 

Quelles sont tes forces comme entrepreneure – puis qu’est-ce que tu veux travailler?

Je pense que ma force c’est mon intégrité éthique. Les gens achètent et c’est d’ailleurs Laure (Pettigrew) qui a mis ça en lumière, dans le parcours FAIRE ; elle m’a proposé de demander à mes ancien(ne)s client(e)s de décrire ce que cela leur avait apporté. Les mots qui étaient le plus souvent revenus étaient « confiance », « confiance en nous », « éthique », « engagement ».  Je ne pensais pas que j’arrivais à transmettre mes propres valeurs.

 

Une autre de mes forces c’est le fait d’oser.

 

Aussi, il y a un élément qui est à la fois ma force et mon défaut, c’est ma franchise. Je vais être facilement invitée à donner des conférences parce que les gens aiment bien ce côté « quelqu’un qui va dire ce qu’on pense et ce qu’on n’entend pas tout le temps ».

 

As-tu un conseil pour les entrepreneures en devenir, un petit mot de fin?

Oser se tromper. Je pense qu’on devient entrepreneure(e) le jour où on commence à faire des erreurs.

 

Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter à toi pour cette année?

Nous sommes en train de sortir un livre, le premier livre québécois à propos des forêts nourricières ; il s’intitule Forêts nourricières Boréales. On peut lui souhaiter un beau succès pour Fertiles et pour le collectif Boréales qui est derrière ! L’idée c’est qu’il y ait d’autres personnes qui se joignent à ce collectif et qu’on continue à écrire la littérature québécoise en permaculture.

 

C’est un essai, il n’est pas très long, ce sont nos premières réflexions, au moins il a le mérite d’exister et d’être posé. Le but c’est qu’on puisse continuer à écrire des connaissances de praticiennes et praticiens sur la permaculture et notre territoire québécois. Ça manque.

 

Le territoire québécois est immense, il a des spécificités particulières en fonction des régions, et nous sommes d’ailleurs quatre à venir d’endroits complètement différents et nous nous sommes rendu compte qu’ensemble, ça commence à faire un certain nombre de forêts nourricières et de lieux différents. Les grandes lignes ont toutes été posées en trois jours. L’idée ce serait ça, chaque année de se regrouper à un certain nombre pour aborder une thématique, même si ce n’est pas long. Je pense que c’est ça aussi le côté oser et faire des choses.