Clara et les poupées de la diversité

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Ce mois-ci, nous vous présentons une entrevue avec Clara D. Lewis, fondatrice de Brown Diva Dolls ❤️

Enchantée Clara ! Faisons connaissance… Qui es-tu ? 
 

Enchantée également ! Je suis maman de 3 garçons. Ma première profession est travailleuse sociale, après je suis devenue gestionnaire, puis aujourd’hui je suis entrepreneure à temps plein. Je suis la présidente et fondatrice de l’entreprise Brown Diva Dolls (BDD) depuis 2019, puis j’essaie aussi d’être une femme qui essaie de faire la différence dans sa communauté, en encourageant l’empouvoirement autour de moi, que ce soit par rapport aux femmes ou à ma communauté, en encourageant à se dépasser, aller de l’avant, ne pas s’arrêter aux barrières culturelles, le racisme, etc. Peu importe les barrières, de toujours essayer d’aller de l’avant, d’être positive. J’essaie vraiment d’incarner cette personne-là.  

  

Comment est né le projet Brown Diva Dolls, peux-tu nous parler de son histoire et sa mission ? 
 

Né de différents concours de circonstances, dont la 1re qui débute à partir de ma propre profession, celle de travailleuse sociale. À travers les 29 ans dans ce métier, j’ai pu voir les deux côtés : premièrement les conséquences d’une faible estime chez les enfants, que ce soient les Africains, les roux, l’enfant « différent » et d’un autre côté j’ai pu voir aussi des enfants qui, par manque de connaissance, étaient négatifs dans leurs actions : méchanceté verbale, micro-impressions, etc.

 

Je me suis dit, premièrement, que puis-je faire pour l’enfant afro qui semble parfois comme un extraterrestre aux yeux des autres et pour l’enfant caucasien qui, par manque de connaissances, préfère réagir négativement. Ça m’emmène à notre mission : permettre aux enfants afros d’avoir enfin et je pèse le mot « enfin », un jouet qui leur ressemble et permettre à l’enfant caucasien d’être en contact avec la différence dès le plus jeune âge (toute forme de différence; couleur, forme, unicité). C’est pour cela qu’on a commencé par la poupée noire aux cheveux très crépus, celle aux cheveux plus métis, la poupée vitiligo, la poupée albinos, la poupée en fauteuil roulant, la poupée avec des fesses plus bombées aussi, pour montrer que ce n’est pas vrai qu’on est tou(te)s dans le même moule.  

  

Pourquoi l’entrepreneuriat ?  

 

J’ai toujours eu à cœur le développement des enfants et je m’y suis dédiée pendant les 29 dernières années. Puis, je me dis qu’il faut que je prépare ma retraite, j’ai 53 ans. C’est ce qui m’a amené à réfléchir; je voulais faire du business pour avoir un impact social, faire la différence, laisser un héritage et pas juste faire du business pour faire du business.   

 

Pourquoi je dis « héritage », parce que moi je n’ai pas eu de poupée avec des cheveux crépus comme ça. Moi elle avait des cheveux lisses; à cause de ça, ça me rendait complexée. Je n’ai pas eu ça, mes sœurs n’ont pas eu ça, mes cousines n’ont pas eu ça; qu’est-ce que je pourrai faire pour la génération future? Vers l’âge de 40 ans, j’ai fait un voyage aux États-Unis; puis j’ai vu que mes cousines étaient toutes devenues naturelles. Depuis toujours, on utilise du défrisant. Quand j’ai vu que la plupart de mes cousines étaient devenues naturelles et avaient décidé d’embrasser leur look, elles ont voulu me convaincre d’arrêter le défrisant.

 

J’ai commencé à lire dessus, comment les filles font pour entretenir leurs cheveux. Je ne savais pas qu’on pouvait. J’ai fait des recherches pendant au moins 3 à 5 mois. Et à ma grande surprise, quand j’ai essayé, mes cheveux étaient magnifiques. Les boucles que je voyais, c’étaient les boucles que je voyais sur les artistes. Je me suis dit que la génération qui s’en vient ne doit pas mettre le défrisant à l’âge de 11 ou 12 ans comme nous ; je me suis demandée comment on peut montrer les façons d’apprivoiser ces cheveux et les aimer.  

  

As-tu fait face à des enjeux et/ou difficultés durant ton parcours entrepreneurial, et si oui, lesquel(le)s ?  

 

Oui J’ai fait face à des défis, comme toutes les entrepreneures. L’entrepreneuriat est un monde extrêmement difficile ; moi, mon défi, c’est d’avoir créé Brown Diva Dolls durant le début du Covid. Dès qu’on a commencé, le défi majeur c’était de faire connaître le nom, le chiffre d’affaires m’importait peu.  

 

En 2019, j’étais très présente sur les réseaux sociaux, le nom est vite sorti. Et en 2020, on a vécu deux situations : la Covid et un deuil aussi assez difficile. J’ai dû vraiment me remettre en question : est-ce qu’on continue ? À l’époque, on avait un « showroom ». On avait acheté le stock, car on s’en venait plus gros, ça a été mis en standby. C’était un peu proche de Noël, on n’a presque pas fait de vente. Ça a été un moment extrêmement difficile pour ma « business. »   

 

Cela m’a permis de me remettre en question sur est-ce qu’on retourne sur le plancher ou pas ; puis on a pris la décision de rester en ligne. C’est seulement en 2023 que je suis vraiment revenue. De 2021 à 2023, on était là, mais au minimum, car j’essayais de guérir de mon deuil, voir comment retourner sur le marché, etc. En 2023, je suis revenue et on est en train de remettre BDD au niveau que nous avons toujours voulu.   

 

Quelles sont tes forces comme entrepreneure – puis qu’est-ce que tu veux travailler ?  

 

Mes forces : premièrement, la création. En effet, nos poupées nous arrivent toutes nues de l’étranger. Pourquoi nues ? Parce qu’on veut créer. On crée les vêtements, je les dessine tous puis on a une entreprise qui les confectionne tous d’ici, parce que j’adore la mode aussi. C’est pour cela qu’on les appelle « Divas », pour incarner la beauté, la grâce, la confiance, etc. On ne voulait pas vendre un produit, on voulait faire de la création. C’est ma force, la création. Et aussi toute la force du « branding » : faire connaître le nom, incarner le personnage, amener les gens à s’attacher au brand.   

 

Je suis très présente au niveau du réseautage, comment faire du bruit, faire parler… Les relations publiques sont une de mes forces ; on va beaucoup dans les médias, on essaie toujours d’innover, d’amener quelque chose de nouveau. On a fait parler de nous, car on a créé la poupée Dre. Bassani, qui représente la première cardiologue noire au Canada. On a aussi la poupée noire sur chaise roulante. On veut sortir du lot, faire les choses autrement. Vu qu’on a une vision internationale aussi, c’est au-delà de vendre des poupées, c’est un message. Il y a toute une mission derrière cette entreprise-là.  

  

As-tu un conseil pour les entrepreneures en devenir, un petit mot de fin ?  

 

Mon mot de la fin (on dirait que je le dit à chaque fois, il faut que je change de cassette (rires)), c’est OSEZ ! Osez le faire si vous avez une idée ! Le pire qui pourrait arriver, c’est « j’ai essayé, ça n’a pas marché ». Sinon, tu vas dire « je l’ai fait, j’ai vu pourquoi ça n’a pas marché, je vais faire autrement ». Donc, oser se lancer.   

 

La 2e chose : sortir de sa zone de confort ! Moi qui propose un produit assez niché, j’aurai pu cibler uniquement ma communauté. Mais NON ! Quand on fait ça, c’est comme si on te disait « tu peux avoir droit à la mer » et que je disais « non, moi je veux juste la piscine ». C’est pour cela qu’on s’est dit que ce ne serait pas seulement pour les enfants afros, que je ne me limiterai pas à la piscine; c’est pour les enfants afro, certes, mais je veux aussi impacter les autres enfants. C’est là que je m’amène à la mer.   

 

Je dis ça à toutes les entrepreneures : ayez une vision macro et non micro. Aussi, il n’y a personne qui invente la roue, elle est déjà inventée ; c’est juste de la mettre à TON image, de lui mettre une image et d’essayer le plus possible qu’elle soit réelle. Car, quand tu vas la transmettre, les gens vont sentir ta passion et ton cœur. Colle à ton projet une histoire, mais elle doit vraiment venir de l’intérieur. C’est cela qui va amener les gens à s’attacher. Les gens achètent la personne derrière le produit, la mission derrière, l’histoire derrière. Tous ces aspects-là sont extrêmement importants.  

 

Dernière chose : tous les gens qui « shinent » derrière les réseaux sociaux, je ne dis pas que c’est faux. Mais c’est partiel dans ce qu’on nous montre. Si vous voyez que vous ne « shinez » pas, ne vous découragez pas, car vous êtes dans la réalité. La réalité c’est difficile ; trouver du financement, c’est difficile. On mélange parfois les revenus personnels à son projet entrepreneurial, on peut brûler nos finances. Il faut essayer de le faire le moins longtemps possible. C’est mieux d’aller chercher l’argent des autres pour faire de l’argent le plus vite possible, que de rester longtemps à brûler son argent ; c’est nocif et souvent, cela fait que beaucoup d’entrepreneures ne durent pas. Moi-même, j’ai fait cette erreur, depuis le début. Et c’est très dur, après, de retomber sur ses pieds.   

 

Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter cette année ?  

 

De vraiment pouvoir percer le marché américain, puis d’atteindre notre chiffre d’affaires. Le jour où ce sera le cas, je le dirai ! Pour encourager les entrepreneures et montrer que c’est possible. Je souhaite être un exemple pour des gens qui n’ont pas eu un parcours comme tout le monde, je veux montrer que c’est possible !   

 

Merci infiniment !